La responsabilité imaginative des marques
Tribune parue dans Les Echos le 16 novembre 2024.
Plusieurs mois après la fin des JO, sa parenthèse d’optimisme et l’encensement de la résurgence de l’esprit français, comment les marques et les entreprises françaises envisagent-elles leur rôle dans la dynamisation des imaginaires ? Dans une période sous contraintes, qui oblige de plus en plus à la sobriété, comment maintenir un espace vivant, projectif, au-delà de la morosité ambiante ?
Face à une sphère politique en manque de souffle et d’imagination, la question envers l’entreprise s’impose. D’abord parce que c’est précisément la fonction des marques de concurrencer le réel par des images, de « faire mythe », d’offrir des représentations, un spectre de valeurs et d’univers narratifs, qui vont participer à renouveler les imaginaires d’une époque.
Et dans un espace d’expression saturé par les appels à une forme générale et nécessaire de frugalité, dans le champ de la marque et de l’entreprise, la modération ne doit pas pour autant signifier vide et absence de rêve. Il y a même urgence à réconcilier sobriété et désirabilité, à stimuler des récits porteurs de rêve à l’endroit même de la responsabilité des entreprises. Car les récits ont une fonction performative. En activant les facultés d’imaginant du récepteur, ils l’invitent à une participation intime et enclenchent des comportements d’incarnation et de transformation dans le réel même.
En cela, l’engagement consensuel des marques en faveur de la RSE ne doit pas être que contrainte : au contraire, il doit ouvrir et favoriser des espaces d’expression nouveaux. Car il n’y pas de contradiction entre responsabilité et rêve, il y a même, du côté de l’entreprise, une véritable responsabilité à faire rêver. Le chercheur Raphaël Llorca insiste dans ses travaux sur ce qu’il appelle, au-delà de leur responsabilité sociale et environnementale, la « responsabilité narrative » des marques, notamment du fait de l’influence qu’elles ont sur l’espace public.
Avec, pour les marques, deux gageures. La première : sortir d’un imaginaire univoque et indifférencié. La vague des « entreprises à mission » et des supposées ‘normes’ d’expression RSE conduit à une uniformisation du langage des marques et à un surinvestissement des univers de l’outdoor et de la nature, y compris pour des marques a priori éloignées de ces univers, en particulier dans le luxe. Construire des imaginaires et des univers langagiers spécifiques constitue un enjeu-clé. La Communauté des entreprises à mission elle-même insiste sur l’importance de la singularité des expressions de marque, comme gage de performance de la mission. Deuxième gageure : échapper aux effets de dissonance. Il est en effet difficile de promouvoir des valeurs à l’encontre des modes de consommation induits par le service ou le produit lui-même. Certains secteurs d’activités sont à ce titre plus délicats que d’autres. Reste que la marque est toujours dépositaire au-delà du produit, d’une vision du monde, d’une façon de faire société, et qu’elle peut porter des messages, des images, des émotions, sur des façons de faire lien, de s’inscrire dans le monde, qui peuvent contribuer précisément à le transformer.
Pour revenir à l’empreinte des JO dans l’imaginaire collectif, il y a, pour renouveler les récits de marque, et comme l’ont fait les créatifs de l’événement, matière à puiser dans les ressources de l’identité créative française : l’esprit français dans son mélange d’esthétique classique et de fantaisie, l’éclectisme, la vitalité des régions françaises, les idéaux républicains et leur réinterprétation...
Exemple récent, la manière dont la marque automobile française Renault s’approprie l’idée française de la révolution dans son dernier film R5REVOLUTION, point d’orgue de sa campagne de lancement de la Renault 5 100% électrique. Le film y reprend à son compte magnifiquement l’impertinence et l’esprit d’avant-garde français, toujours vivaces donc.